Article Juridique et Plaidoirie Officielle
Par Me Halil Baki Çelen, Avocat en droit des migrations
Titre : Les Droits Fondamentaux des Migrants et les Obligations des États sur la Route des Balkans
Les récents rapports concernant l’arrestation de 142 migrants en Macédoine du Nord, principalement originaires de Syrie et du Pakistan, ainsi que la découverte antérieure de 87 migrants entassés dans un camion près de Gevgelija, soulèvent de sérieuses préoccupations juridiques et humanitaires. Il est impératif d’évaluer ces événements à la lumière du droit international, du droit européen et des standards constitutionnels des pays concernés.
1. Le principe de non-refoulement et les obligations internationales
L’article 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés (1951) interdit explicitement de renvoyer une personne vers un territoire où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, religion, nationalité, appartenance à un certain groupe social ou opinion politique. Ce principe – le non-refoulement – est non seulement une règle coutumière du droit international, mais aussi un pilier des droits fondamentaux dans les systèmes juridiques européens.
Article 33(1), Convention de Genève (1951) :
« Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié vers les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée. »
La pratique consistant à déporter automatiquement les migrants vers la Grèce sans évaluation individuelle des besoins en protection enfreint ce principe fondamental.
2. Traitements inhumains et dégradants : violations de l’article 3 de la CEDH
Le rapport publié par l’ONG Save the Children documente des violences graves infligées aux mineurs sur la route des Balkans, y compris des chocs électriques et des passages à tabac. Ces pratiques sont incompatibles avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui stipule qu’« aucune personne ne peut être soumise à la torture ni à des traitements inhumains ou dégradants. »
Les États ont l’obligation positive de prévenir, enquêter et sanctionner de tels actes, qu’ils soient commis par des agents publics ou des passeurs.
3. L’usage abusif de la détention administrative
La détention systématique de migrants sans accès à un avocat, sans information sur leurs droits, ni possibilité de recours rapide, constitue une violation de l’article 5 de la CEDH et de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Les États doivent démontrer que chaque privation de liberté est nécessaire, proportionnée et légale, ce qui est rarement le cas dans les arrestations de masse en contexte migratoire.
4. Le droit à demander l’asile : droit fondamental de l’UE
Conformément à l’article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le droit d’asile est garanti. La Macédoine du Nord, bien que non membre de l’UE, est un pays candidat, signataire de la Convention de Genève et du Protocole de 1967, et tenue de respecter les normes minimales de traitement des personnes en quête de protection internationale.
L’interception de personnes en route vers des pays de l’UE ne peut justifier une déportation sommaire, sans possibilité de déposer une demande d’asile.
5. Les obligations des États en matière de protection des mineurs
Les mineurs non accompagnés doivent être traités avant tout comme des enfants, et non comme des migrants irréguliers. Cela découle de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (1989), notamment son article 3, selon lequel « dans toutes les décisions concernant les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
Conclusion et Appel au Droit
Les événements documentés dans les rapports récents mettent en lumière une défaillance systémique dans la protection des migrants et réfugiés sur la route des Balkans. Les violations du droit international humanitaire, des droits de l’homme et du droit régional européen exigent une réaction immédiate.
En tant qu’avocat en droit des migrations, je demande :
- La fin des renvois collectifs vers la Grèce sans évaluation individuelle ;
- L’ouverture de voies d’asile sûres et légales ;
- Une enquête indépendante sur les allégations de violences policières et de trafic d’êtres humains ;
- L’accès effectif à une assistance juridique pour toutes les personnes détenues ;
- Le respect inconditionnel des normes internationales par tous les États impliqués dans la route migratoire des Balkans.
Le droit ne doit jamais être un instrument de répression, mais un rempart pour la dignité humaine.
Me Halil Baki Çelen
Avocat en droit international des réfugiés
Membre observateur auprès du HCR
Ancien stagiaire juridique à l’ONU – Genève